On ne peut décrire ce qu'est le Bouddha de bien des manières. Ces diverses perspectives prennent toutes leur source dans les enseignements du Bouddha lui-même. L'une d'entre elles sonsiste à considérer le Bouddha historique, un être humain qui a vécu il y a 2 500 ans, qui a nettoyé son esprit de toutes les souillures cognitives et développé la totalité de son potentiel. Tout être qui fait de même est également qualifié de bouddha, car il n'y a pas qu'un seul bouddha, mais un grand nombre. Une autre manière de voir consiste à comprendre un bouddha précis, ou une déité bouddhiste, comme tous les esprits illuminés en train de se manifester sous un aspect physique particulier pour communiquer avec nous. Une autre manière encore consiste à voir le bouddha ou n'importe quelle déité bouddhiste éveillée comme l'apparition du bouddha que nous deviendrons une fois que nous aurons complèement libéré notre esprit de souillures cognitives et développé tout notre potentiel. Nous allons maintenant approfondir chacune de ces perspectives.
Le Bouddha historique
Le Bouddha historique, Shakyamuni, était né prince Siddhartha Gautama dans une région proche de l'actuelle frontière indo-népalaise. Il avait tout ce que la vie peut offrir : richesses matérielles, famille aimante, gloire, réputation et pouvoir. Peu après sa naissance, un devin prédit que Siddharta deviendrait soit un grand roi, soit un grand maître spirituel. Désireux de le voir devenir un grand homme politique, son père le protégea de toutes les situations déplaisante, Mais je jeune Siddhartha fit le mur du palais; pendant son incursion en ville, il remarqua d'abord un malade, puis un vieillard et, finalement, un cadavre. Il perdit ses illusions sur les choses qui apportent un bonheur mondain tenporaire, mais ne trouva pas la solution de la fondamentale difficulté d'être des humains. Lors d'une autre sortie en ville, il vit un ascète errant, et apprit que ce dernier cherchait à se libérer du cycle d'existences auquel il était lié par l'ignorance et le karma. Siddhartha quitta, par la suite, sa vie de prince, pour se faire ascète à la recherche de la vérité. Au bout de six ans d'austérités physiques rigoureuses, il comprit que l'extrême rejet de soi ne conduisait pas au bonheur ultime. Il abandonna ses pratiques ascétiques excessives et, assis sour l'arbre de bodhi, près de la ville qui s'appelle aujourd'hui Bodhgaya, en Inde, il entra dans une méditation profonde au cours de laquelle non seulement il purifia complètement son esprit de toutes les conceptions fausses et de toutes les souillures cognitives, mais encore il accomplit parfaitement la totalité de son potentiel et de ses qualités. Il se mit alors à enseigner avec compassionm, sagesse et habileté pendant quarante-cinq ans. Ce faisant, il permit à d'autres de purifier progressivement leur esprit, de développer leur potentiel, et d'atteindre les mêmes réalisations et le même état de bonheur que lui. Ainsi, le mot bouddha signifie-t-il "l'éveillé", celui qui a purifié et cultivé son esprit complètement.
Comment une telle personne peut-elle nous sauver de nos problèmes et de la souffrance ? Le Bouddha ne peut pas retirer de nos esprits les dispositions perturbatrices que sont l'ignorance, la colère et l'attachement à la manière dont une autre personne peut nous retirer une épine du pied. Le Bouddha ne peut pas davantage laver nos souillures cognitives à grande eau ou verser dans nos esprits des prises de conscience de la réalité. Le Bouddha a une compassion impartiale pour tous les êtres sensibles et les chérit plus que lui-meme, donc s'il avait pu éliminer nos souffrances en agissant lui-même, le Bouddha l'aurait fait.
Mais c'est de notres esprit que dépendent nos expériences de bonheur et de souffrance. Il nous arrive le premier ou la seconde selon que nous maîtrisons ou non nos disposition perturbatrices et nos actes contaminés (karma). Le bouddha nous a montré la méthode pour y parvenir, méthode qu'il a lui-même utilisée pour passer de l'état d'être ordinaire confus - notre présente manière d'être - à l'état depurification et d'épanouissemet complets ou bouddhéité. Il dépend de nous de mettre cette méthode en pratique et de transformer notre esprit. Le Bouddha Shakyamuni est quelqu'un qui a fait ce que nous voulons faire : il a atteint un état de bonheur durable. Son exemple et ses enseignements nous indiquent comment en faire autant. Mais le Bouddha ne peut commander notres esprit; nous sommes les seuls à pouvoir le faire. Notre éveil ne dépend pas seulement du fait que le Bouddha montre le chemin, mais aussi de nos propres efforts pour le suivre.
Pour prendre une comparaison, imaginez que nous voulions aller à Londres. D'abord, il faut savoir s'il existe réellement un lieu appelé Londres. Puis nous chercherons quelqu'un qui y soit allé, qui ait la connaissance et la capacité de nous donner toutes les informations pour le voyage, et qui veuille bien le faire. Il serait idiot de suivre quelqu'un qui n'a jamais mis les pieds : cette personne pourrait, sans le vouloir, nous donner des informations erronées. De même, le Bouddha a atteint l'éveil; il a la sagesse, la compassion et le savoir-faire nécessaires pour nous montrer la voie. Il serait ridicule de nous fier à un guide qui n'a pas atteint lui-même l'état d'éveil.
Notre guide peut nous informer de ce qu'il faut emporter avec nous pour le voyage et de ce qu'il faut laisser derrière nous. Il peut nous parler des correspondances dans les aéroports, des divers endroits par lesquels nous allons passer, des dangers que nous sommes susceptibles cde rencontrer en chemin, et des ressources dont nous pouvons disposer. De manière analogue, le Bouddha décrivait les divers niveaux des voies et des étapes, la progression de l'une à l'autre, les qualités positives à prendre avec nous et à cultiver, et les défauts nuisibles à laisser derrière nous. Mais un guide ne peut nous forcer à faire le voyage : il ou elle ne peut qu'indiquer le chemin. Nous devons nous rendre nous-mêmes à l'aéroport et prendre l'avion. De même, le Bouddha ne peut nous contraindre à pratiquer la voie. Il donne les enseignements et montre par son exemple comment s'y prendre, mais c'est à nous de le faire.
Les Bouddhas en tant que manifestations
La deuxième manière d'envisager les bouddhas, c'est en tant qu'esprits-coeurs illuminés qui se manifestent sous les diverses formes physiques de bouddhas et de déité bouddhistes. Les bouddhas sont omniscients, en ce qu'ils perçoivent tous les phénomènes qui existent aussi clairement que nous voyons nous-mêmes la paume de notre main. Ils ont atteint cette capacité en développant pleinement leur sagesse et leur compassion, éliminant ainsi tous les obscurcissements. Mais il ne nous est pas possible, à nous, de compmuniquer directement avec les esprits illuminés des bouddhas car nos esprits sont obscurcis. Pour pouvoir accomplir le souhait qui leur tient le plus à coeur, conduire tous les êtres à l'illumination, les Bouddhas doivent communiquer avec nous, et, pour le faire, ils prennent des formes physiques. Nous pouvons donc penser au Bouddha Shakyamuni comme à un être qui était déjà éveillé, et qui est apparu sous la forme d'un prince pour nous enseigner.
Mais si Shakyamuni était déjà illuminé, comment a-t-il pu renaître ? il n'a pas pris renaissance sous la contrainte de dispositions perturbatrices et d'actes viciés (karma) comme le font les êtres ordinaires, parce qu'il avait déjà éliminé de son esprit les souillures cognitives correspondantes. Mais il a été capable d'apparaître sur cette terre par le pouvoir de la compassion. Pareillement, des bodhisattvas de haut niveau - des êtres qui ont le désir constant et intense de devenir des Bouddhas pour faire du bien aux autres - peuvent prendre naissance volontairement, non par ignorance, comme il arrive aux êtres ordinaires, mais par compassion.
En pensant au Bouddha en tant que manifestation, nous n'insistons par sur le Boudha en tant que personnalité. Nous nous concentrons plutôt sur les qualités de l'esprit omniscient apparaissant sous la forme d'une personne. C'est une manière plus abstraite de concevoir le Bouddha, penser ainsi demande donc un plus grand effort de notre part.
De même, on peut voir les diverses déités bouddhistes illuminées comme des manifestations de qualités qui sont celles des esprits illuminés. Pourquoi y a-t-il de si nombreuses déités, si tous les êtres qui ont atteint l'illumination ont les mêmes réalisations ? Parce que chacune de ces apparences physiques met en relief (et communique avec) des aspects différents de notre personnalité. Ceci montre les moyens habiles des bouddhas, leur capacité d'aider chacun selon ses prédispositions. Par exemple, Avalokiteshvara (Kuan Yin, Chenrézig, Kannon) est la manifestation de la compassion de tous les Bouddhas. Bien que possédant la même compassion et la même sagesse que n'importe quel bouddha, la manifestation spécifique Avalokiteshvara met en relief la compassion.
La compassion illuminée est invisible pour les yeux, mais si elle devait apparaître physiquement, à quoi ressemblerait-elle ? Tout comme les artistes s'expriment symboliquement par le moyen d'images, les bouddhas expriment leur compassion symboliquement en apparaissant sous la forme d'Avalokiteshvara. Sur certains dessins, Avalokiteshvara est blanc avec mille bras. La couleur blanche souligne la pureté, ici la purification de l'égoisme par la compassion. Les mille bras se terminnent chacun par une main pourvue d'un oeil dans sa paume, ce qui exprime la manière impartiale dont la compassion porte considération à tous les êtres en leur tendant la main pour les aider. Le corps même d'Avalokiteshvara montre comment agit la compassion. En visualisant cette dernière sous cette forme physique, nous pouvons communiquer avec la compassion d'une manière non-verbale et symbolique.
La déité Manjushri est la manifestation de la sagesse de tous les bouddhas. Manjushri a les mêmes raélisations que tous les bouddhas. Dans la tradition tibétaine, Manjushri est représenté de couleur or, tenant une épée enflammées et une fleur de lotus sur laquelle repose le Sutra de la Connaissance Transcendante.Cette forme physique est symbolique de réalisations intérieures. La couleur dorées représente la sagesse, qui illumine l'esprit comme les rayons d'or du soleil éclairent la terre. Tenir le Sutra de la Connaissance transcendante fait signe que, pour cultiver la sagesse, nous devons étudier, contempler et méditer sur le sens encolos dans le sutra. L'épée représente la sagesse dans sa fonction de pourfendre l'ignorance. En visualisant Manjushri et en méditant sur lui, nous pouvons acquérir les qualités d'un bouddha, et surtout la sagesse.
Ces deux exemples nous aident à comprendre pourquoi il y a tant de déités. Chacune souligne un aspect particulier des qualités de l'éveil et nous communique symboliquement cet aspect. Cela ne signifie pas, pourtant, qu'Avalokiteshvara ne sit pas un être. A un certain niveau, nous pouvons comprendre le Bouddha de la Compassion comme une personne qui réside dans une terre pure particulière - un lieu ou toutes les conditions conduisent à la croissance spirituelle. A un autre niveau, nous pouvons voir en Avalokiteshvara une manifestation de la compassion sous forme physique. Au Tibet, Avalokiteshvara prend une forme masculine et en Chine une forme féminine. Un esprit illuminé se situe, en fait, au-delà du masculin et du féminin. Les diverses formes physiques ne sont que des apparences destinées à communiquer avec nous. êtres ordinaires, qui sommes tellement engagés dans les formes, Un être illuminé peut apparaître dans une grande variété de corps. S'il est plus efficace d'apparaître dans u ne grande variété de corps. S'il est plus efficace d'apparaître sous une forme féminine aux gens d'une culture et sous une forme masculine aux gens d'une autre, un être éveillé le fera.
Ces diverses manifestations ont la même nature: le merveilleux esprit de sagesse et de compassion omniscient. Les bouddhas et les déités ne sont pas des êtres séparés les uns des autres à la manière dont une pomme et une orange sont des fruits séparés. Mais plut^t, ils ont tous la même nature. Ils n'apparaissent sous des formes extérieures différentes les unes des autres que pour communiquer avec nous de diverses manières. D'un bloc d'argile, le potier peut faire un pot, un vase, une assiette ou une statuette. La nature de tous ces objets est la même, de l'argile, pourtant elles remplissent des fonctions différentes selon la forme donnée à l'argile. De même, la nature de tous les bouddhas et déités est le bienheureux esprit de sagesse et de compassion omniscient. Celui-ci apparaît sous toutes sortes de formes pour remplir des fonctions diverses. Ainsi, quand nous voulons cultiver la compassion, nous mettons l'accent sur la méditation sur Avalokiteshvara, et quand notre esprit est lourd et mou, nous insistons sur la pratique de Manjushri, le Bouddha de la Sagesse. Ces bouddhas ont tous les mêmes réalisations, mais chacun d'entre eux, ou d'entre elles, a sa spécialité.
le bouddha que nous deviendrons
La troisième manière de comprendre le bouddha, c'est en tant qu'apparition de notre propre nature de bouddha sous sa forme pleinement développée. Tous les êtres ont le potentiel de devenir des bouddhas car nos esprits à tous sont intrinsèquement purs. A présent, ils sont voilés par des dispositions perturbatrices et des émotions négatives (kleshas), ainsi que par des actions viciées (karma). En pratiquant avec costance, nous pouvons faire disparaître de nos courants de conscience ces souillures et nourrir les semences de nos belles potentialités. Ainsi chacun d'entre nous peut devenir un bouddha quand ce processus de purification et de croissance est arrivé à son terme. Cela n'existe que dans le bouddhisme, car la plupart des religions disent qu'un intervalle infranchissable sépare l'être divin et l'être humain. Mais le Bouddha a dit que chacun des êtres a le potentiel de devenir pleinement illuminé. Il suffit de pratiquer la voie et d'en créer les causes, pour atteindre l'illumination. Ainsi les êtres sont-ils nombreux à être déjà devenus des bouddhas, et nous aussi, nous pouvons en devenir un.
Quand nous visualisons le Bouddha ou une déité en pensant à lui, ou à elle, comme au futur bouddha que nous deviendrons, nous imaginons notre nature de bouddha, à présent latente, sous sa forme pleinement développée. Nous pensons à l'avenir, au moment ou nous serons arrivés au bout de la voie de l'illumination. En imaginant l'avenir au présent, nous réaffirmons notre bonté latente. Le futur bouddha que nous deviendrons, c'est cela qui nous protège vraiment de la souffrance, parce qu'en devenant ce bouddha nous aurons éliminé les causes des situations qui, actuellement, ne nous satisfont pas.
Ces diverses manières de comprendre le bouddha sont de difficulté croissante. Il se peut que nous ne saisissions pas tout immédiatement. C'est très bien. C'est parce que les gens ont des manières de comprendre différentes que sont exposées des interprétations différentes. Il ne nous est pas demandé de penser tous de la même manière, ni de tout comprendre tout de suite.
S'il existe des personnes, vivant aujourd'hui qui ont atteint la bouddhéité, pourquoi ne disent-elles pas qui elles sont et ne montrent-elles par leurs pouvoirs de clairvoyance pour susciter la foi dans les autres ? Pourquoi les grands maîtres refusent-ils tous d'admettre qu'ils ont des réalisations spirituelles ?
L'une des principales qualités d'un être éveillé est l'humilité. Cela ne ressemblerait pas aux bouddhas d'aller se vanter de leurs réussites et de rassembler des disciples par égocentrisme. Dnas leur authentique respect pour tous les êtres, les grands maîtres spirituels nous donnent un bon exemple. Nous autres, les êtres ordinaires, nous avons tendance à faire étalage de nos qualités, et même à nous targuer de talents et de réussites qui ne nous appartiennent pas. Les pratiquants avancés font le contraire : ils restent humbles.
Le Buddha interdisait ceux qui le suivaient de montrer leurs pouvoirs visionnaires ou miraculeux, sauf si les circonstances le rendaient absolument nécessaire, et ils n'étaient pas autorisés à en parler. Il y a plusieurs raisons à cela. Si quelqu'un avait des pouvoirs de voyance et s'il les montrait, son orgueil pourrait enfler, ce qui nuirait à sa pratique. Les autres, en outre, pourraient devenir superstitieux et penser que les pouvoirs de voyance sont le but du chemin. En fait, ils sont un effet secondaire et ne se révèlent de quelque utilité que si l'on possède la motivation juste, l'impartiale bien-veillance aimante. Par ailleurs, si un bouddha en corps de lumière rayonnante apparaissait soudain dans la rue, les gens, sous un tel choc, se trouveraient dans l'incapacité de prêter attention aux enseignements de ce bouddha. Il est plus habile, pour ceux qui ont atteint des niveaux élevés de la voie, de paraître sous une forme ordinaire. Il se peut que nous remarquions qu'ils ont des qualités exceptionnelles, mais le fait qu'ils nous ressemblent nous permet de nous sentir plus proches d'eux. Cela nous donne confiance ; nous aussi, nous pouvons cultiver ces mêmes qualités éveillées que nous leur voyons.